Nous sortons ce matin de notre tente sous une petite pluie pas bien méchante et passons devant la maison du douanier argentin pour retrouver le sentier. Il est temps de marcher jusqu’au Chili.
Nous marchons quatre kilomètres dans la boue avant d’arriver à la frontière terrestre en pleine forêt, où se trouve un drapeau argentin, un drapeau chilien, et pas grand chose d’autre.
A partir de là, le sentier s’élargit et nous pouvons accélérer notre cadence. Il nous reste seize kilomètres avant d’atteindre un lac où un bateau est censé faire le voyage vers Villa O’Higgins, la ville la plus au sud de la Carretera Austral.

Piste d’atterrissage
La route se divise, et n’étant pas sûrs de quelle direction prendre, j’utilise le GPS de mon téléphone. Il nous dirige vers la piste d’atterrissage d’un aérodrome désert et il nous faut ramper sous les fils barbelés pour retrouver le chemin principal.
Quelques heures plus tard, alors que nous commençons à apercevoir le lac, un douanier chilien passe à côté de nous en quad. Il nous regarde de haut en bas derrière son casque et nous propose de nous emmener jusqu’à la douane. On dit oui sans hésiter.
Je m’assois sur le siège derrière le conducteur et Austin doit se contenter du porte-baggages.
Ce que nous savons pas encore est que ce douanier est un psychopathe, bien décidé à nous donner la frayeur de notre vie.
Heureusement que j’ai des poignées sur les côtés pour me retenir de voler par dessus bord sur la route et je trouve le voyage certes agité mais plutôt amusant. Le pauvre Austin n’a lui rien pour se retenir et n’est pas installé très comfortablement; il est balancé de tous les côtés comme un vieux sac.
Nous arrivons à la douane et je remarque qu’Austin est livide, et que ses bras tremblent de l’effort qu’il a du faire pour essayer de rester dans le porte-baggages. De ma part, je dis au douanier que j’ai apprécié le voyage, et il a l’air déçu d’avoir raté son coup de me traumatiser à vie.
Il nous dirige ensuite vers le bureau où nous remplissons le formulaire d’entrée au Chili. Austin arrive à peine à tenir le stylo.
Il regarde nos passeports et nous fait la leçon puisque nous avons officiellement quitté l’Argentine le jour d’avant et que ce jour de différence ne devrait pas exister. On se fait un peu crier dessus pendant quelques minutes, mais il nous laisse finalement passer.
Nos passeports tamponnés, nous arrivons au bord du lac, où nous attendons deux heures que le bateau arrive.

Le bateau arrive au “port”
Nous y rencontrons un groupe de marcheurs et de cyclistes attendant le bateau comme nous. Nous apprenons que certains d’entre eux sont là depuis quatre jours, puisque le bateau ne passe pas en cas de vent trop fort.
Nous avons de la chance et le bateau arrive à l’heure. Nous montons à bord et tout le groupe de voyageurs fatigués s’endort après quelques minutes de voyage. Nous retrouvons la terre ferme trois heures plus tard, où un minibus nous attend pour nous emmener à Villa O’Higgins, à quelques minutes du lac. Le groupe en entier se rend à l’auberge la plus populaire de cette petite ville, appelée El Mosco. Nous sommes environ dix à se pointer juste à temps pour le dîner de Noël. Les propriétaires de l’hôtel nous proposent gentiment de partager leur repas déjà prêt, et nous avons le temps de préparer quelques plats en plus. On finit avec un crumble aux pommes pour le dessert et nous sommes tous heureux et repus.
Nous passons une soirée très agréable, en bonne compagnie, autour de plusieurs bouteilles de vin et rythmée de chansons jouées à la guitare.

Villa O’Higgins
Après deux jours de repos complet accompagnés de notre nouveau groupe d’amis, il est temps de commencer notre remontée de la Carretera Austral.
La Carretera Austral est une route pensée et commanditée par Pinochet, dictateur du Chili de 1973 à 1990. Elle s’étend sur 1240 km, reliant les villages du nord de la Patagonie un peu oubliés au centre dynamique du pays. La construction de la route s’est achevée en 2000, en arrivant à Villa O’Higgins.
C’est une route très appréciée par les voyageurs à pied, à vélo, en moto et en voiture puisqu’elle rejoint des endroits encore très sauvages de la Patagonie chilienne et qu’elle permet d’explorer une région encore très peu connue du grand public. Les petites villes et villages le long de la route sont desservis deux ou trois fois par semaine par quelques bus, et les horaires ne sont pas très fiables. On espère donc qu’on aura de la chance et qu’on ne restera pas coincés trop longtemps quelque part. Bien sûr, il y a toujours l’option de faire de l’auto-stop, méthode que beaucoup de voyageurs finissent par utiliser au moins une fois sur la Carreterra Austral.
Depuis Villa O’Higgins, nous prenons un bus qui doit nous laisser à un croisement à quatre heures de là, d’où nous essaierons de trouver une voiture pour effectuer les 22 kilomètres restants jusqu’au village de Caleta Tortel. Le bus part en retard et le chauffeur semble avoir un petit coup dans le nez.
Nous pensions aller directement à destination, mais le chauffeur en a décidé autrement. Nous sortons de la ville, et faisons demi-tour lorsque l’une des passagères annonce qu’elle a oublié quelque chose chez elle. De retour sur la route, nous nous arrêtons pour aider à relever une voiture couchée sur le côté. On arrive juste à temps pour le ferry qui traverse un des nombreux cours d’eau qui entrecoupent la Carreterra Austral, puis nous remontons dans le bus. Un dernier arrêt pour regarder une montagne dont le profil ressemble vaguement à un visage, et nous voici arrivés au croisement.
Voici notre arrêt. Nous demandons au chauffeur si cela ne le dérangerait pas de nous avancer un peu plus près de la ville ou nous voulons nous rendre. Mais non, pour une fois, il veut respecter son programme et ses horaires.
Il détache nos sacs à dos du toit du bus et continue son chemin. Il n’y a personne sur la route, et nous commençons donc à marcher les 22 kilomètres qui nous séparent de Caleta Tortel.
Nous sommes désormais quatre à faire ce voyage ensemble. Francisco d’Argentine, Abdel, français vivant en Argentine, et nous deux – franco-turque et américain qui habitent en Espagne. Je crois que lorsque les locaux nous demandent d’où on vient, ils le regrettent aussitôt.
Après une heure de marche, une première voiture nous dépasse et nous ignore complètement.
Encore deux ou trois voitures dont les conducteurs ne nous regardent même pas, et finalement un couple de touristes italiens nous prennent en pitié et nous conduisent jusqu’à notre destination.

Abdel à l’arrière du pick-up
Nous arrivons à Caleta Tortel, un village à l’architecture très intéressante qui est entièrement construit sur des passerelles en bois de cyprès sur le bord de l’eau, ce qui rend l’endroit très mignon et impressionnant à la fois. On a aussi l’impression qu’il y a plus de chiens que d’humains qui vivent ici.
Nous frappons à la porte d’une auberge conseillée par des voyageurs et nous rencontrons Giselle, la propriétaire du lieu. C’est un personnage haut en couleur, à qui la solitude doit monter un peu à la tête. Elle commence à nous expliquer qu’elle offre les prix les plus bas de Caleta Tortel puisque ses chambres sont basiques et que les autres auberges du village ne devraient pas l’accuser de voler des clients juste parce que c’est l’option la plus économique. Et ceci pendant une demi-heure, à chaque fois qu’on la croise. Elle est un peu bizarre.
Nous passons une nuit à Caleta Tortel avant de nous rendre plus au nord dans la ville de Cochrane, où nous pouvons nous ravitailler et manger dans un vrai restaurant.
Notre prochain arrêt est à quelques heures, dans le minuscule village de Puerto Bertrand, sur les rives de la rivière Baker. Cette rivière a récemment gagné en reconnaissance à cause des barrages qui devaient y être construits et qui avaient créé un débat national sur le sujet. La rivière est très belle, et l’activité principale ici est le rafting.
Donc on fait du rafting! Et nous passons un très bon moment sur cette rivière.
Puerto Bertrand ne reçoit que très peu de touristes et ça se voit. Notre “auberge” est en fait une chambre libre chez quelqu’un et le restaurant où l’on va déjeuner est le salon d’une habitante du village. C’est amusant de rentrer dans la vie des gens comme ça pendant un court moment.
Le lendemain, c’est l’heure de nous séparer d’Abdel, avec qui on a partagé plusieurs jours de voyage. On espère que nos routes se recroiseront un jour, peut-être en Espagne!?
On s’arrête ensuite dans la ville de Puerto Rio Tranquilo, connue pour ses caves formées de marbre qui peuvent se visiter en bateau.
On s’inscrit pour une visite, et notre groupe d’une dizaine de personnes monte sur un bateau pour profiter d’un agréable voyage jusqu’au “chapelles” de marbre, comme ils les appellent. La couleur de l’eau est magnifique, et nous fait penser que nous sommes sur une plage des Caraïbes.
La visite est vraiment super; notre capitaine nous explique les détails géologiques du lieu et nous fait visiter les caves où notre bateau rentre juste.
Notre voyage de retour à Puerto Rio Tranquilo, comme son nom ne l’indique pas, n’est pas tranquille du tout. Notre bateau se cogne contre de grosses vagues et survole le lac tandis qu’on rebondit comme si l’on était sur une montagne russe. Une ballade très intéressante!
Suite à cette dernière aventure nous avons de la chance et nous trouvons presque tout de suite une famille chilienne qui accepte gentiment de nous conduire jusqu’à Coyhaique, la plus grande ville de la région qui est étonnamment moderne. Nous allons diner dans une pizzeria très hipster appelée Mama Gaucha et nous passons la nuit dans une jolie auberge.
Le lendemain matin nous montons dans un ferry pour un voyage de 24 heures jusqu’à la ville de Puerto Montt. C’est un bateau relativement comfortable, surtout en comparaison avec le bateau que l’on avait pris sur l’Amazone au Pérou. Et, détail apprécié par Austin, le logo de la compagnie de transport est un dauphin crachant du feu.
Dès que l’on arrive à Puerto Montt, nous prenons un minibus pour la ville de Puerto Varas, à vingts minutes. C’est une ville très agréable située au bord d’un lac et avec une vue magnifique sur deux volcans aux sommets enneigés. Nous sommes le 31 décembre, et nous dénichons un pub irlandais où fêter la nouvelle année.
Le jour suivant, nous décidons de nous inscrire pour une demi-journée de “canyoning” dans une rivière à une heure de Puerto Varas. Notre guide est un français installé au Chili depuis plusieurs années. Nous enfilons nos combinaisons de néoprène et nous voilà partis. Le canyoning consiste à suivre le cours de la rivière en descendant des cascades et en sautant dans l’eau depuis plusieurs mètres de haut. En gros, ce n’est pas exactement ma tasse de thé, mais Austin est aux anges et il passe une excellente journée.
Fatigués de nos aventures, nous prenons un bus de nuit depuis Puerto Varas jusqu’à la ville de Valparaiso. Nous allons y passer quelques jours avant de partir pour notre dernière destination, l’Ile de Pâques, puis retourner en Espagne… Déjà??? On commencerait presque à se sentir nostalgique.

Chiot très joueur à Villa O’Higgins

Chien très affectueux à Caleta Tortel
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